8

S’abandonnant à ce qui était devenu pour lui une véritable séance routinière de dépréciation, Malik Carr repensa à son arrivée à Obroa-skai, lors des premiers jours de l’invasion. Il avait eu alors la possibilité de rencontrer le Commandeur Tla, le Prêtre Harrar, le Tacticien Raff et Nom Anor. Toujours dévoués à Yun-Harla, Déesse de la Supercherie, Harrar et Nom Anor avaient mis au point un complot visant à livrer au gouvernement de la Nouvelle République une femme appartenant à une secte dont les membres étaient maîtres dans l’art de la dissimulation et du double jeu. L’objectif était d’infiltrer les Jedi pour en éliminer le plus possible. Carr avait exprimé quelques doutes au sujet du plan mais avait tout de même accordé sa bénédiction en raison de ce que Son Eminence Harrar lui avait dit :

« Le succès de notre plan devrait te permettre d’accéder au rang de suprême commandeur, avec un navire spatial – sous ton entière responsabilité – qui te permettra d’affronter nos nouveaux ennemis. Quant à moi, il me permettra de siéger aux côtés du Seigneur Suprême Shimrra, sur Yuuzhan’tar recréé… ».

C’était bien avant qu’Elan soit tué et Harrar rappelé dans la Bordure Extérieure. Ce qui aurait dû être une attaque surprise sur les chantiers de construction navale ennemis de Fondor avait tourné à l’échec total. Encore une machination de Nom Anor mais, cette fois, Nas Choka et Malik Carr avaient été obligés d’endosser leur part de responsabilité. Depuis, Nas Choka avait été promu au rang de Maître de Guerre, Harrar avait été élevé à celui de Grand Prêtre et Nom Anor, contre toute attente et contre l’opinion d’un grand nombre de personnes, avait été nommé Préfet de Yuuzhan’tar.

Et Malik Carr ?

Il n’était que le gardien des prisonniers ennemis, dégradé de son rang, simple passager sur un vaisseau commandé par un guerrier dont il était jadis le supérieur hiérarchique !

— Je veux que ce soit très clair, Malik Carr, déclama avec emphase le Commandeur Bhu Fath depuis son siège à bord du vaisseau de guerre Bûcher Sacré. Les prisonniers doivent être notre priorité. Le Seigneur Suprême Shimrra leur accorde beaucoup plus d’importance qu’à toutes ces reliques et idoles que nos convois ont transportées jusqu’à Yuuzhan’tar.

Se tenant raide dans la diffuse lumière verdâtre de la salle de commandement, Carr parvint à conserver sur son visage abject une expression impassible, en dépit du fait que, quelques jours plus tôt, plus de cinquante des prisonniers à sa charge avaient succombé sous les écrasants soleils de Selvaris au fond du puits d’immolation.

Carr fit claquer ses poings contre ses épaules pour saluer Fath.

— Je comprends, Commandeur. Les prisonniers sont notre priorité.

Le convoi était constitué de treize appareils, la plupart appartenant aux Brigades de Paix, escortés par cinq vaisseaux de guerre Yuuzhan Vong. Le plus important d’entre eux transportait deux escadrons de coraux skippers. Circonstance qui aurait été impensable au début de la guerre, le convoi n’était pas accompagné d’un yammosk. Pire encore, le vaisseau de Fath était relié à l’un des engins des Brigadiers par une membrane Oqa, afin de faciliter le transfert des prisonniers de Selvaris à bord du Bûcher Sacré. Les détenus ramassés dans les camps d’internement autres que celui de Selvaris resteraient à bord des appareils des Brigades de Paix jusqu’à l’arrivée du convoi à Yuuzhan’tar.

— Commandeur… dit Carr, se préparant à prendre congé. Pensez-vous que les Brigadiers de Paix partagent les mêmes priorités que nous ? J’ai rencontré certains d’entre eux, et j’ai l’impression que leur unique intérêt réside dans l’épice qu’ils ont volée sur Ylesia et qu’ils souhaitent ingérer en grande quantité.

Fath émit un grondement. Son corps était immense et particulièrement musclé, deux choses qui n’allaient pas toujours de pair chez les Yuuzhan Vong.

— En des moments pareils, on est bien obligé de s’allier à la racaille, dit-il d’une voix lasse. Et nos vaisseaux doivent donc fraterniser. Ordre du Seigneur Suprême Shimrra. Mais cela ne durera pas. D’ici un an, peut-être deux, nous disposerons de suffisamment de vaisseaux et de guerriers pour nous passer des services des Brigades de Paix ou d’un autre allié, quel qu’il soit. Le Maître de Guerre Nas Choka m’a donné sa parole.

Carr serra les dents pour lutter contre la colère qui le rongeait. Il avait lui-même convié Nas Choka à participer à la guerre. Il avait lui-même organisé la cérémonie d’investiture à bord du vaisseau croisant sous son commandement. Il se demanda si Nas Choka daignerait encore poser les yeux sur lui à présent, surtout si le Maître de Guerre venait à apprendre l’évasion des détenus de Selvaris. Cette possibilité aggravait les enjeux de la mission en cours. Tout nouvel incident pourrait entraîner la destitution totale de Carr.

Mais non, se dit-il résolument. En cas de problème, il se passerait prestement un tkun autour du cou pour ne pas avoir à souffrir d’autres humiliations.

Il chassa ces préoccupations de ses pensées. Même si elle était encore visible par la membrane transparente de la salle de commandement, Selvaris se trouvait à présent loin derrière lui. Bientôt, le convoi atteindrait la vitesse nécessaire au passage dans le sombrespace et le prochain arrêt serait Yuuzhan’tar.

Saluant Fath une dernière fois, Carr gagna la sortie de la salle. A peine avait-il atteint la membrane d’occultation qu’un subalterne chargé des communications pivota de la console des villips qu’il était chargé de superviser.

— Commandeur ! Vaisseaux ennemis détectés ! Ils sont en approche !

Fath se leva à moitié de son siège.

— Quoi ?

— Des vaisseaux de guerre et des escadrons de chasseurs, annonça le subalterne.

Carr se tourna vers la membrane d’observation. Une colonne de vaisseaux venait d’apparaître derrière la plus petite des lunes de Selvaris, juste en aval du convoi, alors qu’une autre était en train de surgir de ce que l’ennemi appelait l’hyperespace. Il eut presque l’impression d’entendre les cris de guerre des pilotes des chasseurs.

— Une embuscade ! s’exclama Fath sur un ton à la fois confus et incrédule.

Un corpulent représentant des Brigades de Paix fit irruption dans la chambre de commandement.

— Mais on nous a confirmé que l’itinéraire était sécurisé ! Comment l’Alliance a-t-elle eu vent de nos plans ?

Fath dévisagea l’humain, bouche bée.

— Ce… ce n’est pas possible !

L’homme renifla de façon dédaigneuse et désigna la membrane transparente.

— Regardez, Commandeur. Si vous n’agissez pas rapidement, nous serons vite réduits en poussière stellaire !

Fath bondit sur ses pieds et se précipita vers l’alcôve tactique de la salle, au centre de laquelle un essaim d’insectes lumineux venait de s’envoler pour matérialiser dans l’air un schéma de la situation. Sans le soutien du yammosk pour diriger leurs actions, les insectes furent tout juste en mesure de représenter les différents vaisseaux, civils et militaires. Ils furent incapables de fournir des informations sur les capacités d’armement de chaque engin ou sur leurs vecteurs d’attaque. Carr grimaça. Lui seul savait exactement ce qui s’était passé.

Le prisonnier évadé… L’équation mathématique énoncée par celui qu’on a repris… C’était bien un code…

— Commandeur Fath ! commença-t-il sans hésiter. Chargez les villips de communiquer notre situation. Déployez les basals dovins pour protéger nos vaisseaux. Ordonnez aux appareils des Brigades de Paix d’adopter une formation défensive pendant que nous lançons nos coraux skippers.

Les subalternes de Fath, éberlués, se tournèrent vers leur commandeur.

— Je… Oui ! balbutia-t-il en déglutissant avec difficulté. C’est ça, faites ce qu’il vous dit ! Et vite !

L’humain posa sur Carr un regard d’approbation en souriant.

— Ah, les dieux soient loués, enfin quelqu’un capable de penser, à bord de ce fichu vaisseau !

Carr le dévisagea.

— Arrête de dire des sottises et va t’assurer que le reste de mes prisonniers a bien été transféré à bord du Bûcher Sacré. Une fois la membrane Oqa rétractée, ordonne à tes hommes de rejoindre les batteries d’artillerie.

Toujours souriant, le Brigadier de Paix posa la pointe de ses doigts tendus contre son front.

— A vos ordres, Commandeur !

Carr se délecta du titre honorifique pendant un très court instant avant de se tourner de nouveau vers Fath.

— Tu penses pouvoir te débrouiller ?

Fath, incertain, baissa les yeux.

— Je suis à ce poste par pur accident, Suprême Commandeur. C’est vous qui devriez être à ma place.

Carr, furieux, s’approcha de lui.

— Bhu Fath ! Le titre honorifique t’appartiendra tant que tu ne commettras pas l’imprudence susceptible de t’en priver !

Fath releva les yeux et hocha la tête.

— Ordonne aux vaisseaux transportant les prisonniers de passer immédiatement en sombrespace, dit Carr. Nous ne pouvons pas risquer qu’ils demeurent dans la zone des combats.

Fath écarquilla les yeux.

— Mais ce serait une fuite sans honneur !

Carr empoigna Fath par l’encolure de son uniforme de commandeur.

— Et nos priorités, Commandeur ? Le Seigneur Suprême Shimrra sera plus enclin à honorer ton insistance à sauvegarder les prisonniers que ton enthousiasme à participer au combat.

Il relâcha le vêtement de son congénère.

— L’expérience nous apprend à distinguer la sagesse de l’inconscience.

Fath pivota vers ses subalternes et relaya les ordres.

— Bien, maintenant, lancez les coraux skippers, dit Carr.

Les subalternes n’attendirent même pas la confirmation de leur supérieur direct.

Le visage fièrement scarifié de Fath s’assombrit.

— Mais, sans l’aide d’un yammosk…

Carr l’interrompit d’un geste de la main.

— Si les pilotes, sous les capuches de commande de leurs coraux skippers, ne savent pas encore comment attaquer l’ennemi, depuis le temps que nous sommes en guerre, alors ils ne le sauront jamais ! Ils paieront cette ignorance d’une mort sans honneur.

Il indiqua à Fath la console des villips.

— Va leur parler, attise leur enthousiasme, enflamme leur passion !

Fath déglutit et hocha la tête.

— D’accord, j’y vais. Mais, vous, qu’allez-vous faire ?

Carr pencha la tête de côté.

— Ne m’as-tu pas ordonné de veiller sur les prisonniers ?

Fath se redressa de toute sa hauteur.

— Si, bien sûr.

Carr posa alors ses mains sur les larges épaules de Fath.

— Un poste de commandement est comme un test de notre volonté. Puise dans ta foi en Yun-Yammka. Elève-toi au-dessus de la tempête. Si jamais tu te retrouves acculé au cours de la bataille, tu sais où me trouver.

Fath appuya ses deux poings contre ses épaules puis exécuta le signe d’ushrok, geste de gratitude et de loyauté.

— Belek tiu, Suprême Commandeur !

Dans l’espace, les armes ennemies – canons laser et lance-torpilles à protons – commencèrent à mugir.

Carr pivota sur ses talons et quitta la chambre de commandement. Pour lui, cette journée se conclurait par le pardon ou la mort.

 

Les Ailes-X des pilotes aguerris de l’Escadron Soleils Jumeaux surgirent de leur cachette, canons laser chargés à bloc et ailerons stabilisateurs bloqués en position de combat.

Le convoi de vaisseaux en forme de cosses des Brigades de Paix et leur escorte de navires de guerre Yuuzhan Vong se déroulaient tel un long ruban qui semblait joindre la lune de Selvaris à la planète elle-même. Quelques transports avaient été équipés de turbolasers et de canons à courte portée, mais la plupart des engins semblaient avoir été rapiécés tant bien que mal et être dépourvus de défenses. Trois des appareils Yuuzhan Vong étaient des pointes de flèche de cent vingt mètres de long, recouvertes d’une coque de corail yorik noir à reflets rougeâtres et criblées de bouches destinées à lancer des basals dovins ou bien des projectiles au plasma. Les deux plus gros vaisseaux étaient des cargos, aussi bien armés, et transportant des escadrons de coraux skippers, accrochés à leurs coques blanchies comme des coquillages sur des rochers.

Installée dans le cockpit de Soleil Jumeau Un, Jaina Solo volait à la tête des trois escadrons sous son commandement. Ses mains gantées serrées sur les contrôles de son Aile-X, elle activa le système de communications incorporé à son casque.

— A toutes les unités, placez-vous en formation derrière vos leaders. Maintenez la fréquence de combat ouverte pour attendre vos instructions. Leader Cimeterre, tu me reçois ?

— Cinq sur cinq, Jumeau Un, confirma le Colonel Ijix Harona.

— Leader Taanab Jaune, tu es là ?

— Tout est paré, Jumeau Un, répondit Wes Janson.

Les capteurs de l’Aile-X retransmirent au moniteur une série de témoins jaunes et bleus.

— Leader Cimeterre, ton escadron se charge du premier transport. Leader Taanab, je te laisse les canonnières de tête. Les Soleils Jumeaux vont s’occuper du transport relié par ombilic à l’engin des Brigades de Paix. Les autres appareils du convoi sont attribués aux escadrons de chasseurs Apôtres, Lune Noire et Avant-Garde.

L’Escadron Soleils Jumeaux, baptisé ainsi par Luke Skywalker d’après les astres diurnes de sa planète natale de Tatooine, était constitué de chasseurs Ailes-X T-65A2 et XJ3. Les Cimeterre d’Ijix Harona étaient des Ailes-A aux fuselages pointus, les appareils de la Lune Noire des Ailes-E, et les As de Taanab pilotaient de vieux chasseurs jaunes parés de rayures noires. Les Apôtres avaient été rassemblés à l’origine par Kyp Durron. L’Avant-Garde était sous la direction de Jagged Fel et de ses camarades Chiss.

Les flancs du chasseur blanc de Jaina portaient encore le dessin un peu effacé d’un voxyn, créature tueuse de Jedi créée dans les laboratoires de biotechnologie des Yuuzhan Vong, qui avait été peint là quelques années plus tôt. Sur sa droite, elle vit une formation de chasseurs stellaires et de transports blindés qui venait tout juste de surgir de l’hyperespace. Elle bascula sur la fréquence de commandement.

— Kyp, Colonel Fel, Capitaine Saz, vous me recevez ?

— Affirmatif, Colonel, annonça Saz depuis Lune Noire Un.

— C’est comme si j’étais perché sur ton épaule ! enchaîna Kyp Durron.

La supernova peinte sur la coque du chasseur Aile-X de Kyp était au moins aussi effacée que le voxyn de Jaina.

Content de te voir ! lança Durron dans la Force.

Percevant le salut extrasensoriel, Jaina sentit Kyp se joindre au lien mental qu’elle partageait avec Lowbacca et Alema Rar. Le Wookiee et la Twi’lek pilotaient respectivement les Soleils Jumeaux Cinq et Neuf. Leur lien dans la Force était puissant, bien moins toutefois que celui qu’elle entretenait avec Jacen, même à de très grandes distances à travers les étoiles.

— Où est Jag… Je veux dire le Colonel Fel ? demanda-t-elle. Je croyais que les Chiss devaient participer à cette mission…

— L’Avant-Garde a été retenue à Mon Calamari, dit Kyp. Apparemment, il s’y prépare un gros truc.

Et Jag t’embrasse, ajouta mentalement le Maître Jedi.

Le message prit Jaina par surprise et elle sentit son visage s’empourprer. La remarque de Kyp n’aurait pu mieux tomber.

— Les Soleils Jumeaux, Cimeterre et As ont déjà leurs ordres, dit-elle d’un ton ferme au groupe qui venait d’arriver. N’hésite pas à nous demander un coup de main si ces canonnières te résistent, Leader Lune Noire.

Saz éclata de rire.

— Merci pour la confiance, Colonel !

Depuis son logement derrière le cockpit de l’Aile-X, l’unité R2-B3 de Jaina, surnommée « Cappie », relaya un message urgent. La jeune femme en étudia la traduction sur son écran et activa de nouveau sa fréquence de communication.

— A tous les pilotes, les senseurs indiquent un accroissement des émissions d’hyperdrive sur les cargos des Brigades de Paix.

— Compris, Jumeau Un, dit Harona. Ils sont en train de se préparer à passer en vitesse-lumière.

Jaina poussa sur la commande des gaz.

— Eh bien, aucun d’entre eux ne doit quitter les lieux sans notre autorisation ! A tous les chasseurs, formation d’interception et d’obstruction. Visez les hyperpropulseurs et les générateurs de boucliers déflecteurs. Soyez précis dans vos tirs. Nous ignorons où les prisonniers sont détenus.

Jaina vit les vaisseaux des Brigades de Paix quitter le convoi, les navires de tête virèrent de part et d’autre, tandis que les autres appareils changeaient de cap et filaient vers la lune de Selvaris se mettre à couvert. Les Apôtres de Kyp et les chasseurs de la Lune Noire plongèrent pour couper la route aux engins ennemis.

Jaina tira sur son manche et lança son Aile-X dans un virage serré pour se placer en position d’attaque. En vol atmosphérique, la manœuvre lui aurait coupé le souffle mais ici dans l’espace, avec les compensateurs d’inertie fonctionnant à plein régime, elle ne ressentit aucun effet. Des rayons laser et des projectiles enflammés fusèrent des vaisseaux d’escorte du convoi, striant les rangs des chasseurs stellaires. Deux Ailes-X disparurent au cœur d’explosions presque sphériques. Les Apôtres de Kyp se séparèrent en quatre groupes de trois, pour partager leurs boucliers, et accélérèrent dans l’espoir d’intercepter les engins qui quittaient le convoi.

Certains appareils des Brigades de Paix se montrèrent plus rapides qu’ils n’en avaient l’air. Leurs réacteurs chauffés à blanc, ils filèrent en direction de la Bordure, guère soucieux des escadrons Lune Noire et Cimeterre lancés à leurs trousses et du feu nourri qui bombardait leurs coques et leurs unités de propulsion. La tentative d’interception avait démarré trop tard.

— Je compte un, deux, trois appareils des Brigades qui nous échappent ! annonça Harona en voyant les trois vaisseaux disparaître dans l’hyperespace. On les poursuit ?

— Négatif ! répondit prestement Jaina.

Leurs ordres étaient de secourir le plus de prisonniers possible, pas de pourchasser leurs adversaires jusqu’à Coruscant.

— Assurez-vous qu’aucun autre ne prend la tangente !

Ce à quoi s’attelèrent les Apôtres de Kyp, décochant leurs missiles à fragmentation et leurs torpilles dans le but de contraindre les vaisseaux en fuite à rester groupés. Peu blindés, les navires patauds furent obligés de s’exécuter. L’un d’entre eux fut même totalement immobilisé.

Les transports Vong, cependant, furent prompts à réagir.

— Les skips sont largués ! tonna la voix d’Ijix Harona dans les écouteurs de Jaina.

La jeune femme vira sur tribord juste à temps pour voir les chasseurs ennemis se décrocher de leurs points d’attache et former des essaims protecteurs autour des cargos et des canonnières Yuuzhan Vong. Redoutables fléchettes rouges et perlées, les petits engins étaient aussi agiles que mortels. Cette seule vision aurait certainement dû augmenter son rythme cardiaque, mais Jaina était à présent accoutumée aux tactiques de l’adversaire. Cependant, son expérience personnelle lui avait enseigné de ne jamais sous-estimer la vitalité des coraux skippers ou l’entêtement de leurs pilotes.

Elle laissa sa sensation d’excitation s’apaiser puis se fondit à nouveau dans le lien mental. Lowbacca, Alema et Kyp lui signalèrent qu’ils étaient prêts.

— OK, vous tous, dit-elle. Changez de cap au un-zéro-un. Réglez les lasers pour un tir déphasé. Souvenez-vous de modifier la fréquence de vos boucliers si vous sentez la traction d’un basal dovin.

Lowbacca et Alema lui envoyèrent une confirmation dans la Force et leur contingent de quatre appareils commença à accélérer en direction du vaisseau toujours relié à son ombilic.

Après la déroute des armées de Tsavong Lah à Ebaq Neuf et après une année de modestes victoires dans l’espace Impérial, près de la nébuleuse Koomacht, à Bakura et un peu sur tous les fronts, la guerre aurait dû être effectivement terminée. Les dirigeants de l’Alliance Galactique – Sovv, Kre’fey, Brand, Keyan Farlander, Garm Bel Iblis et quelques autres – étaient certains d’avoir assené le coup fatal aux Yuuzhan Vong et pensaient que les affrontements qui suivraient ne seraient que de simples échauffourées engendrées par le repli de l’ennemi. Pendant ce temps, les modeleurs Vong avaient travaillé d’arrache-pied pour tenter de rétablir l’équilibre. Lentement mais sûrement, ils avaient découvert des moyens de contrer les armes sur lesquelles l’Alliance avait pris l’habitude de se reposer : tirs en rafales déphasées des lasers, brouillage des yammosk, leurres pour basals dovins, bombes furtives et autres.

Les Yuuzhan Vong s’étaient finalement décidés à passer à l’action en produisant des hordes de basals dovins spécialement modifiés dans le but d’absorber ou de rendre inopérantes toutes les stations relais du réseau HoloNet à travers la galaxie. Alors que l’Alliance avait vaillamment entrepris de rétablir les communications instantanées en stationnant des vaisseaux de guerre dans l’espace profond pour faire office d’émetteurs relais, de nombreux mondes étaient tombés sous le joug de l’ennemi, après de rudes combats ou bien sans opposer la moindre résistance. Le point d’orgue avait été la désastreuse tentative des forces combinées de l’Alliance et des Vestiges de l’Empire pour reprendre la planète Bilbringi.

Le titre d’expert en supercherie, jadis brièvement détenu par Jaina, était donc retourné aux mains du Seigneur Suprême Shimrra. La fille de Han Solo n’était plus que le « Sabre des Jedi », surnom reçu sur Mon Calamari lors de la cérémonie d’adoubement qui avait précédé la bataille d’Ebaq Neuf.

— Que chacun de vos tirs fasse mouche ! dit-elle. Réservez vos torpilles et vos missiles à fragmentation pour les transports !

Un tube d’allure organique reliait toujours le vaisseau Yuuzhan Vong au cargo des Brigades de Paix. Entre les Soleils Jumeaux et les deux vaisseaux amarrés l’un à l’autre, l’espace grouillait de coraux skippers.

— Entamez le balayage des coques en surface, ordonna Jaina. Et remontez sur toute la longueur du convoi.

Les moniteurs de l’Aile-X se couvrirent de parasites lorsque des traits verts de lumière solidifiée jaillirent des canons du chasseur stellaire. Les anomalies gravifiques créées par les coraux skippers absorbèrent la plupart des rayons mais certains parvinrent cependant à franchir les défenses ennemies et à atteindre leurs cibles. Des explosions se produisirent çà et là, projetant des éclats de corail tourbillonnants de diverses tailles à travers la zone.

Au bout de la première passe, Jaina lança son Aile-X dans un retournement serré, accéléra et fila de nouveau en plein cœur de la bataille. Des éruptions de projectiles surchauffés jaillissaient des lanceurs en forme de volcan des coraux skippers. Certains passèrent au ras de la verrière de son cockpit, telles des météorites en flammes. Elle rendait coup pour coup. Un des skips réussit à échapper à ses séquences de tirs savamment calculées, mais son voisin n’eut pas la même chance, frappé de plein fouet par les rafales et aussitôt désintégré.

Jaina poussa la commande des gaz pour pourchasser le skip qui lui avait échappé et un de ses ailiers vint voler à sa hauteur. La sphère difforme de corail yorik, alimentée par ses basals dovins, grimpa en chandelle, vrilla et redescendit en piqué, vomissant le contenu de toutes ses batteries d’armes. Soleil Jumeau Trois fit une embardée sur bâbord mais pas assez rapidement. Les basals dovins du skip engloutirent instantanément l’énergie des boucliers de l’Aile-X et deux projectiles au plasma s’abattirent sur lui. Saturés, les déflecteurs rendirent l’âme et l’engin de l’Alliance fut anéanti.

Une chose à laquelle Jaina ne s’était pas vraiment encore habituée était la perte d’un de ses équipiers. A ce stade précis de la guerre, alors que chaque vétéran s’était vu attribuer son propre escadron, les pilotes qui constituaient les Soleils Jumeaux ne devaient guère être plus âgés qu’elle. Chaque nouvelle mort creusait une affreuse blessure au plus profond de son être.

Elle sentit, l’espace d’un instant seulement, la colère gronder en elle, mais la sensation se volatilisa rapidement dans la Force. Faisant preuve d’un calme aussi soudain qu’imperturbable, elle vira sur l’aile et pilonna le corail skipper dont les défenses organiques étaient en train de se recharger. Deux traits de laser précisément ajustés ne leur laissèrent pas le temps de finir. Un troisième rayon frappa le chasseur Vong. Le skip projeta des éclats fluorescents de corail vaporisé dans toutes les directions, puis disparut dans une boule de feu.

S’écartant rapidement de l’explosion, Jaina se lança à la recherche de nouvelles proies.

Les comptes des combats s’étaient équilibrés à nouveau depuis que l’ennemi avait compris qu’il fallait faire preuve d’innovation. Les duels de chasseurs étaient redevenus aussi féroces qu’au début du conflit, époque à laquelle on était encore loin de découvrir comment contrer efficacement ce nouvel adversaire. Les forces de l’Alliance bénéficiaient d’un petit avantage lorsque les coraux skippers volaient sans l’assistance d’un yammosk. Mais les pilotes Vong maîtrisaient aujourd’hui leurs engins bien mieux que naguère et il était devenu difficile de les duper.

Jaina ignora son moniteur de ciblage et sa visée assistée par ordinateur, faisant confiance à la Force pour la guider vers les cibles les plus opportunes. Les fréquences de combat se chargèrent d’échanges fébriles :

— On n’a pas d’accès dégagé vers les transports, avec tous ces skips dans les parages, annonça Harona aux membres de l’Escadron Cimeterre. Numéro Trois, occupe-toi du lanceur de plasma dorsal ! Numéro Deux, vois si tu peux attirer les skips à tes trousses !

— On essaye, Leader Cimeterre ! Mais ils ne veulent pas mordre à l’hameçon !

— OK, bien compris. Il ne reste plus qu’à leur rentrer droit dans la couenne !

Jaina se rendit compte que la situation était identique autour des deux vaisseaux amarrés l’un à l’autre. Les coraux skippers devaient avoir pour mission de protéger l’appareil de transport à tout prix ou, tout au moins, jusqu’à ce que l’ombilic ait réintégré le cargo des Brigades de Paix. En s’approchant, Soleil Jumeau Deux décocha une salve dévastatrice qui perfora la collerette de corail servant de carénage aux propulseurs basals dovins du navire.

Jaina ordonna à son escadron de serrer la formation et de concentrer l’attaque. Lorsque les Ailes-X commencèrent à toucher leurs cibles, les coraux skippers réagirent en se dispersant. Avec un dédain évident pour toute tactique de fuite, le skip de tête, cependant, fonça droit sur Jaina. Puis, en un clin d’œil, l’essaim tout entier de chasseurs ennemis abandonna les positions de défense.

— Jumeau Un, skip isolé sur ta droite ! avertit Alema.

— Merci, Neuf !

Jaina exécuta un tonneau pour échapper à une rafale de missiles infernaux, pivota, rétablit son assiette. Elle et le chef d’équipe d’un autre détachement de son escadron décidèrent de prendre l’ennemi en pince. Les ailiers dans leurs sillages respectifs, trop occupés à adapter leurs manœuvres aux changements de caps soudain de leurs leaders, n’eurent même pas le temps d’ouvrir le feu. Le skip de tête décocha une anomalie gravifique juste dans la trajectoire de Jaina mais cette dernière parvint à y échapper en une fraction de seconde. L’Aile-X se cabra puis regagna son cap initial. Jaina pressa la gâchette de ses lasers, déversant une tornade de feu vers le trou noir miniature. Les basals dovins de l’adversaire s’empressèrent d’absorber toute cette énergie, privant momentanément le skip de ses défenses. Ce qui convenait parfaitement à Jaina. Les canons laser tribord du chasseur de la jeune femme pilonnèrent le skip sans merci, le coupant littéralement en deux. De longues fumerolles incandescentes s’échappèrent des deux sections, puis le skip se volatilisa dans une lueur aveuglante.

Les groupes Deux et Trois obtinrent des succès analogues. Oubliant toute forme de discipline, les coraux skippers s’écartèrent du vaisseau de transport, se lançant dans des séries de manœuvres qui, à intervalles réguliers, les obligeaient à croiser les lignes de destruction tracées à leur intention par les chasseurs de l’Alliance.

Vers l’avant du convoi, le premier transporteur s’était accidentellement retourné sur sa partie ventrale et paraissait comme échoué. De part et d’autre, les Apôtres et la Lune Noire volaient en cercle autour des trois appareils des Brigades de Paix dont les tourelles laser venaient d’être réduites à l’état de ruines fumantes. Ce fut à ce moment précis que les canonnières et engins de transport de l’Alliance débarquèrent sur les lieux pour embarquer à leur bord les prisonniers tout juste libérés.

Jaina ordonna aux groupes Un et Trois de se concentrer sur le transporteur et sa passerelle ombilicale. Elle demanda à Lowbacca d’emmener le groupe Deux sur l’arrière afin d’intercepter tout skip qui tenterait de percer leur barrage.

— Je viens tout juste d’apprendre que les agents de l’Alliance ont saboté les hyperdrives de tous les vaisseaux, à l’exception d’un seul, annonça Kyp dans les écouteurs de Jaina. On peut considérer qu’ils sont à nous, maintenant.

— Bonne nouvelle, répondit Jaina.

— Et j’ai de bien meilleures nouvelles encore. Tes parents sont là.

— Je sais, je les ai sentis, déclara Jaina en souriant.

Ses yeux se posèrent sur un signal lumineux de son moniteur qui ne pouvait être que le Faucon Millenium. Le vieux cargo approchait dans sa direction.

Cela faisait des semaines qu’elle n’avait pas revu ses parents. Elle avait appris, la veille seulement, que non seulement ils avaient été en mesure de fournir à l’Alliance les informations concernant le convoi de prisonniers mais qu’en plus ils s’étaient portés volontaires pour participer à la mission de sauvetage.

Ce qui ne l’avait pas surprise outre mesure.

Elle envoya un signal de bienvenue dans la Force. Sa mère comprendrait parfaitement de qui il émanait.

Quelques instants plus tard, elle put voir le Faucon de ses propres yeux. Ses parents manœuvraient le cargo avec la même aisance que Jaina son Aile-X ou une Aile-Y, les quadrilasers ventraux et dorsaux désintégrant tous les skips ayant le malheur de se trouver en travers de leur chemin. Une corvette d’assaut de l’Alliance, armée de la proue à la poupe, apparut dans le sillage du Faucon. Les deux appareils fondirent sur le deuxième transport. La corvette décocha une sorte de harpon directement dans le nez du cargo des Brigades de Paix, toujours relié à la manière d’intestin grêle qui lui servait de passerelle avec le vaisseau Vong.

— Un harpon paralysant ! s’exclama Soleil Jumeau Quatre. Comme une grosse seringue hypodermique chargée de gaz soporifique. Quand nos gars monteront à bord, vous pouvez être sûrs que tous les Brigadiers seront hors d’état de nuire !